J'ai découvert ce groupe fin 2017 lorsqu'il a défrayé la chronique en publiant cet album sur Internet en téléchargement libre. Laissant libre cours à la créativité de leurs fans pour en faire des pressages vinyles ou CDs et les distribuer via leurs propres labels ou structures de distributions. Ajouter à cela le fait que cet album est le 4e des 5 albums qu'ils avaient annoncé vouloir sortir sur la seule année 2017 (!), exploit réalisé avec la sortie de Gumboot Soup le 31 décembre, et on se dit que l'on affaire à de sacrés loustics (rien que le nom du groupe, déjà!).
Venus d'Australie, où une scène rock connait un essor depuis quelques années (avec les excellents Tame Impala entre autres), les 7 membres du groupe jouent un rock bien barré patchwork de nombreuses influences avec une énergie et une créativité rarement entendues ces dernières années. Dès le titre inaugural, "Crumbling Castle", sorte de délire psyché rock à tiroirs, on part en trip musical sous acide (les 15 premières secondes me scotchent à chaque fois). Il y a plus d'idées et de rebondissements dans ces presque 11 minutes que dans la carrière complète de bien des groupes de la scène rock actuelle. Ca part dans toutes les directions et la configuration du groupe (2 batteurs, 1 basse + 4 guitaristes et multi-instrumentistes) permet toutes les audaces via l'utilisation de claviers, synthétiseurs, harmonicas et autres flûtes traversières. Le tout en mixant brillamment l'acoustique et l'électricité, en modulant les tempos et en jouant efficacement sur la synthèse rythmique entre les (nombreuses) voix et les instruments. La production est impeccable et malgré le foisonnement musical crée par les 7 musiciens, tout est à sa juste place, rien ne se perd dans le mixage final. A chaque écoute, ce qui frappe c'est l'énergie, l'urgence, la dynamique rythmique du groupe qui fout la pêche (le combo double batterie + basse bondissante!) et le régal guitaristique à chaque titre. C'est plein de gimmicks de guitares addictifs, de petits riffs, de phrasés métronomiques (on est pas loin du math-rock souvent) voire d'explosions noisy (la fin très métal de "Crumbling Castle"!) ou de rythmiques en excès de vitesse (la dernière minute du disque sur le titre "The Fourth Colour"). L'album comporte 10 titres mais il se décomposerait plutôt en quatre gros pavés autonomes: la piste 1, les pistes 2-3-4, les pistes 5-6-7, puis 8-9-10. Dans chaque triptyque, les morceaux, courts (entre 2 et 3 minutes pour 8 titres sur 10), s'enchaînent sans rupture et il faut donc proscrire la lecture aléatoire pour l'écoute de ce voyage sonore aux frontières du rock barré. A l'écoute de ce disque, je me souviens de l'étonnement ressenti aux premières écoutes des disques de Sonic Youth. La sensation que le groupe utilise une structure de groupe rock classique mais compose une musique différente, inventive, en cassant les codes, en brisant les lignes, en créant son propre vocabulaire loin du schéma traditionnel couplet-refrain. Le triptyque "Polygondwanaland"-"The castle in the air"-"Deserted dunes welcome weary feet" (soit les pistes 2-3-4) dévoile le groupe tout en contrôle sur un rock métronomique mid tempo avec quelques incursions discrètes de synthétiseurs et une bonne dose de guitares acoustiques. L'ensemble de l'album sonne presque comme un Pink Floyd des années 70's avec comme une idée directrice centrale qui se décline ensuite dans plusieurs morceaux différents (pour pas utiliser le terme pompeux de "concept album"). Le deuxième triptyque "Inner Cell" - "Loyalty" - "Horology", ramène plus d'électricité, et une tension presque inquiétante, et dévoile toute la dynamique collective du groupe (notamment le travail sur le chant). Mention spéciale à l'ambiance très synthé 80's (idéale pour la BO de la prochaine saison de Stranger things!) de l'intro de "Loyalty". Le dernier triptyque "Tetrachromacy" - "Searching..." - "The Fourth Colour" est le plus déroutant et varié avec 3 morceaux aux ambiances bien distinctes. On navigue entre un math-rock acoustique traversé d'harmonicas et de bidouillages électro, un rock tribal aux sonorités étranges, et le rock en état d'ivresse du dernier titre joué pied au plancher. 6 dernières minutes qui nous ramène à la folie du premier titre. Ca lâche les chevaux pour un rush final de toute beauté. Le vent et des nappes de synthé brumeuses coupent le titre en deux avant un dernier assaut noisy furieux!
Un album aventureux, ingénieux, inventif, et bourré de trouvailles en tout genre, qui revitalise l'idée de concept album (la pochette est géniale au passage). Ajoutez à cela une énergie contagieuse, une dynamique collective impressionnante (ça joue à 7 quand même!) et...du talent! Avec une discographie de 13 albums depuis 2012 (!), le groupe laissera forcément une trace dans le rock des années 2010 et encore de bonnes surprises pour moi en perspective.
Site officiel: http://kinggizzardandthelizardwizard.com/
Tracklisting
1. Crumbling Castle 10:44
2. Polygondwanaland 3:33
3. The Castle in the Air 2:47
4. Deserted Dunes Welcome Weary Feet 3:33
5. Inner Cell 3:55
6. Loyalty 3:38
7. Horology 2:52
8. Tetrachromacy 3:30
9. Searching... 3:03
10. The Fourth Colour 6:12