Overblog
Editer l'article Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Simple(men)

Simple(men)

Chroniques musicales


La Rumeur - L'ombre sur la mesure (2002)

Publié le 9 Février 2019, 23:01pm

Catégories : #Disque culte, #France, #00's, #La Rumeur

La Rumeur - L'ombre sur la mesure (2002)

Chronique d'un classique du rap français! Loin d'être un spécialiste du hip-hop, j'ai découvert La Rumeur grâce à Noir Désir qui, lors de leur dernière tournée, avait à de nombreuses reprises invité ce collectif à faire leurs premières parties.

Curieux de nature, je me suis plongé dans ce disque sans a priori particulier, juste comme un amateur de musique, et là, la grosse claque. On a affaire à une oeuvre majeure de la musique française. Un disque cohérent, puissant, sombre, aux instrus soignés. Les MCs de La Rumeur alignent des lyrics inspirées, parfois subversives et même carrément violentes souvent. Sans concession et avec une précision chirurgicale, ils règlent ainsi brillamment leurs comptes avec la police, le rap français, le colonialisme...entre autres. Se revendiquant comme pratiquant un rap de fils d'immigrés hostile au conformisme du milieu rap français, il dissèque la société française autour de thématiques rares dans la musique française comme le colonialisme, le racisme, les violences policières, le milieu carcéral, la misère sociale... L'ensemble est sombre, pessimiste, radical mais le talent est là. La qualité d'écriture est remarquable et les instrus qui accompagnent ces morceaux, variés et inspirés. La production et les samples utilisés (souvent issus de fims) distillent une ambiance de vieux film noir (écouter "Le coffre fort ne suivra pas le corbillard"), donnant une touche presque cinématographique à l'ensemble, ce qu'on ne retrouve pas malheureusement sur leurs albums suivants au son plus froid et moderne. Le disque comporte 19 pistes dont 4 instrumentaux (il débute ainsi par une "Entrée" et se termine par une "Sortie", avec 2 "Interlude") et oscille entre charges directes hardcore et évocations plus subtiles. On a affaire à des artistes engagés (enragés?), conscients, à l'intelligence affirmée (certains des membres sont titulaires de Masters et autres diplômes universitaires) loin des clichés habituels véhiculés par le rap (violence, misogynie, victimisation, esthétique bling bling...entre autres). Le résultat: des morceaux aussi brillants sur le fond que dans la forme comme "Les petites annonces du carnage" (les lyrics sont...des petites annonces!), l'allégorique "Le cuir usé d'une valise", plus beau morceau que j'ai jamais entendu sur l'immigration, le subtil et troublant "Moha" sur l'enfer carcéral, ou "A 20000 lieues de la mer" et son évocation de la ville de banlieue. Le groupe se fait aussi subversif voire carrément violent sur des titres hardcore comme "Le prédateur isolé" (où le rap français en prend pour son grade) le dérangeant "Je connais tes cauchemars" (l'évocation d'une séquestration mortelle), l'insurrectionnel "On frappera" (troublant en ces temps de soulèvement des gilets jaunes), et le titre collectif "A les écouter tous" qui convoque plusieurs invités tous plus inspirés les uns que les autres sur le thème de la discrimination. Le groupe propose aussi un combo hallucinant de 4 titres successifs (!) où il convoque tour à tour les thèmes de la guerre d'Algérie (sur "Premier matin de novembre"), du colonialisme (le puissant "Ecoute le sang parler") de l'esclavage (le court mais brillant "365 cicatrices") et de l'immigration (le fabuleux "Le cuir usé d'une valise") dans un enchaînement remarquable. La Rumeur réussit même le tour de force de pondre 2 tubes imparables et intemporels: "L'ombre sur la mesure" et "Le silence de ma rue" aux refrains implacables et aux lyrics acérées.

Après l'"Entrée" et son sample brillant en guise d'introduction et "Les coulisses de l'angoisse", titre sombre mais presque calme, on trouve donc "L'ombre sur la mesure": premier tube de cet album. Sur un sample bien senti de piano, les MC alignent des lyrics puissantes pour un classique du hip hop français. Extraits:

 

"Je suis l'ombre cerclée de gris rouillé verrouillé sur une aire où rien ne brille
Où les corps se compriment où la vue décline et où les brigadiers fulminent

Regarde ces silhouettes grises
Dont les rêves gisent sur le pavé couvert de pisse
Elles poussent toutes la même porte
En crachant sur le trottoir de leurs illusions mortes
Nous n'avons à perdre que nos pensées ternes
Te diront-elles avec le feu dans les yeux

De ceux qui sont prêts à tenter le diable, pourvu qu'il garnisse leurs tables
Et conjurent la misère, le fer et la pierre qui les enserrent
Je suis l'ombre sur la mesure et je sature
Dans les graves de cette basse qui monte d'une cave
Parmi la crasse et l'éther d'une trop vieille poudrière

[Refrain]
Considère moi comme une bombe
Dont tu as allumé la mèche
Et qui égrène les secondes

D'une saison blanche et sèche"

Proche de la fin
J’ai bientôt noirci mes feuilles blanches et vu que le fruit se décompose
Faut que je m’accroche à la branche, pas à ta blanche poudre
Tu serais content de voir mes cellules se parfumer à la soude
Ou mon cerveau dans un dé à coudre
Tout pour me dissoudre, putain de trottoir
Jamais trop tard pour trouver de l’alcool dans ce dépotoir
Faut croire que le poison se plait dans nos quartiers
Vu que c’est le seul à pouvoir circuler sans papiers
Et quand c’est pas derrière les barreaux, c’est des gosses à l’hosto
À police musclée correspond contrôle costaud
Hostile parce que jamais tranquille
Puisqu’ils nous veulent morts ou entièrement dociles
"Un pour tous, tous pourri", c’est leur nouvelle devise
Donc t’étonnes pas si personne te sourit
Incompatible avec tes lois comme tes règlements
Comme ces putains de décrets que j’arrose d’excréments
Extrêmement dur dans mes textes comme sur le pavé
S’ils savaient ce que je ferais si j’étais pété de thunes
Quand j’ai la plume gavée, faut surtout pas que tu me pousses
Avec cette rancune née sur le bitume, je les encule tous

[Refrain & Sample]x8
Peux-tu entendre le silence de ma rue ?"

La Rumeur frappa un grand coup avec ce disque en 2002, au niveau du rap français et même bien plus loin que le public hip hop classique. Sa résonance montera ainsi jusqu'aux plus hautes sphères de l'Etat puisque le fanzine accompagnant le disque et rédigé par Hamé sur le thème des violences policières lui valut une procédure judiciaire sur plusieurs années contre le Ministère de l'Intérieur de l'époque mené par un certain Nicolas Sarkozy. Hamé sera relaxé après 8 ans d'acharnement de l'Etat. Une victoire pour la liberté d'expression. La preuve, s'il en fallait une, de l'engagement sans concessions du groupe et de sa farouche détermination à continuer le combat contre les injustices de la société française. La preuve aussi que les thèmes développés dans ce disque majeur étaient bien trop dérangeantes et subversives pour le grand public (le groupe est culte malgré sa faible couverture radiophonique puisque trop hardcore pour les radios commerciales). Le vrai contenu que l'on peut attendre d'un album de rap. Hardcore, lettré, inventif, subversif, La Rumeur m'a ouvert à une scène qui m'était inconnue (avec entre autres Casey, La Canaille, Zone Libre...) et réconcilié avec une certaine idée de la musique française engagée.

 

 

Pour être informé des derniers articles, inscrivez vous :
Commenter cet article

Archives

Nous sommes sociaux !

Articles récents